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« Tu écris comme un cochon ! »


« Sale », « Applique-toi », « Fais plus attention », « Ecris sur les lignes », « Nul »… Que ressentent les enfants à qui l’on reproche sans cesse de « mal » écrire ?

Feuilles raturées par le professeur, pages arrachées, annotations nerveusement griffonnées en rouge, punitions, privation de récréation, sans oublier le « tampon cochon »... Les idées ne manquent pas pour signifier un mécontentement devant des cahiers mal écrits ou mal présentés. A LA question : l’enfant le fait-il intentionnellement ? La réponse est évidemment : NON. Pourrait-il faire autrement et mieux ? Là, il faut nuancer la réponse. La plupart des enfants peuvent en effet écrire mieux. Parole de parents : « Quand il s’applique, il y arrive ». Mais voilà, c’est le « Quand il s’applique » qui pose problème. Un enfant n’est pas capable de développer autant d’énergie 6 heures par jour, 5 jours par semaine, pendant toute sa scolarité. Car aucun enfant ne fait exprès de mal écrire ou de salir ses pages de cahier. AU-CUN. Pas plus qu’il ne s’agit d’un manque de respect pour l’enseignant, ou d’une nonchalance frisant le « je-m’en-foutisme ». Dans la mesure où les années de maternelle se sont bien passées, à leur entrée à « la grande école », ils sont tous enthousiastes, pleins de bonnes intentions et d’envie de bien faire, et de faire plaisir à leur entourage, parents et enseignants, en obtenant des félicitations. Et surtout, ils sont en pleine construction de leur socle, celui qui leur permettra d’oser et d’avancer : leur confiance en eux.


 Que ressentent les enfants à qui l’on reproche sans cesse de « mal » écrire ?

Article rédigé par Laurence PETITJEAN Graphothérapeute GGRE – Graphologue SFDG


Dès lors, que ressent un enfant lorsqu’il est la cible de toutes ces foudres ?


De l’injustice ? De la colère ? De l’humiliation ? De la tristesse ? Un peu de tout peut-être, ou juste une petite égratignure, ou une vraie blessure, dans sa confiance en lui, saupoudrée d’incompréhension, car, oui, il a fait ce qu’il a pu. En plus de réduire l’enfant à son écriture, tous ces mots blessants et ces pages arrachées vont influer sur l’image que l’enfant a de lui-même. C’est lui tout entier qui est touché par ces regards négatifs : « Je suis nul »… Il a pourtant certainement essayé de bien faire, en tirant la langue, en crispant tout son corps, en respirant fort, parce qu’écrire est pour lui un effort énorme. Il supporte même avec courage et sans rien dire la douleur dans son poignet ou dans sa main. Mais il a beau s’appliquer à bien former les lettres comme on le lui a enseigné, elles finissent toujours cabossées, cassées, pointues, comme si on leur avait donné des petits coups de poing un peu partout. Il s’évertue à suivre les lignes, à écrire dans les interlignes, pastrop grand et sans « dépasser », mais les lettres semblent ne pas vouloir obéir et les mots dansent sur la page. Et quand il doit souligner, cette maudite règle bouge tout le temps ! Il est conscient du manque de propreté de sa page, il voit les cahiers de ses voisins et voisines de classe, il compare. Il entend bien les critiques et les reproches. Le problème, c’est qu’il ne 2 sait pas comment faire pour y remédier. Il serait tellement fier de parvenir à avoir une « belle » écriture, lisible, sur une page bien présentée… Apprendre à écrire est comme escalader une immense montagne escarpée et pleine d’embuches. Il sait qu’il devrait être là-haut, tout en haut de cette montagne où on l’attend. Mais sans carte ni indication : quel chemin faut-il prendre ? Il se sent seul et l’accabler ne fait qu’augmenter sa souffrance.


Pourquoi écrire est-il si difficile ?


Parce que c’est un travail en multi tâches. Il faut penser à tout, en même temps, un peu comme lorsque l’on apprend à conduire. Avant de démarrer, il faut tout vérifier sinon on risque l’accident. Comme dans une voiture, on doit vérifier sa posture, être bien assis, avoir les pieds au sol (« sur les pédales »), les 2 mains en bonne position (« sur le volant ») : l’une tient la feuille, l’autre est sur la feuille et tient le stylo, la tête doit être placée de façon à pouvoir voir ce que l’on a écrit et ce que l’on est en train d’écrire (« les rétroviseurs et le pare-brise»), on doit être détendu afin d’avoir un geste souple (un geste brusque, et c’est la sortie de route). Et une fois tout cela bien en place, il faut, en même temps qu’on fait les gestes nécessaires à l’écriture, penser à la forme des lettres, à la façon de les tracer dans le bon sens, à leur emplacement sur la ligne, à leurs proportions, à la liaison. Et ce n’est pas tout ! Il faut aussi réfléchir au sens des mots et des phrases, car il y a toujours une réflexion qui sous-tend ce que l’on écrit. Seul un geste automatisé permet de ne plus devoir penser à la « technique » de l’écriture pour pouvoir se consacrer entièrement à la réflexion. Pour toutes ces raisons, apprendre à écrire est un travail long et difficile, qui s’étire, ou plutôt devrait s’étirer, sur plusieurs années en y consacrant un temps suffisant. Il requiert de la part des enfants attention, concentration, effort et énergie. Le tout sur une base encore mouvante car leur développement psychomoteur n’est pas toujours parvenu à un niveau suffisant pour répondre à cette demande particulière qu’est l’écriture. Se diriger dans l’espace et dans le temps, être bien coordonné, connaitre son schéma corporel… : autant de préalables auxquels on ne pense pas, pourtant indispensables pour entrer de plein pied dans l’apprentissage de l’écriture. Bien sûr aussi, les doigts doivent avoir acquis l’agilité nécessaire pour pouvoir accomplir des gestes fins et précis. Reconnaissons que les filles ont souvent ici un petit avantage sur les garçons…


Comment s’adresser à l’enfant ?


Alors oui, c’est vrai, certaines pages ne sont pas bien présentées. On peut même dire qu’elles sont « sales ». Et, bien sûr, on ne peut pas laisser faire sans rien dire. Il faut le faire remarquer à l’enfant qui, même s’il voit que ce n’est pas parfait, n’en a pas toujours une conscience aussi aigüe que l’adulte. Mais comment le lui dire avec des gestes moins violents que des pages arrachées, ou avec des mots plus pédagogiques et moins humiliants que « tu écris comme un cochon » ? Notons d’ailleurs que cette phrase n’a aucun sens, aucun cochon n’ayant jamais écrit. De surcroit, contrairement aux idées reçues, le cochon est très intelligent, propre et sociable, ce qui en fait un animal plein de qualités. On pourrait donc retourner la critique en compliment. Mais concrètement, comment dire à un enfant que sa page est mal écrite et mal présentée ? On peut lui faire remarquer que son écriture et que la présentation de la page ne sont pas suffisamment claires pour que les autres puissent la lire. On peut expliquer que l’écriture étant un outil de communication, c’est un vrai handicap. Au même titre que les relations intrafamiliales, amicales ou scolaires, l’écriture est une partie de cet ensemble. On peut lui faire prendre conscience aussi des défauts que son écriture présente en lui demandant par exemple s’il connait la notion de proportion (ce qui est rare, mais c’est l’occasion de l’expliquer) et s’il la retrouve dans son écriture : voit-il que ses s sont aussi grands que ses t par exemple ? En réalité, ce qui doit être recherché n’est pas l’esthétique de l’écriture, mais son EFFICACITE. Qu’est-ce qu’une écriture efficace ? C’est celle que tout le monde peut lire, qui permet de suivre sans peine le rythme de la classe et qui ne demande pas trop d’énergie à produire. Voilà l’écriture qui sera satisfaisante pour celui ou celle qui a écrit. Il n’y a là aucun critère de beauté du graphisme. A contrario, une écriture difficile à lire, trop lente ou qui provoque des douleurs dans le bras, le poignet ou les doigts est inefficace et pénalise son auteur.


Quelles solutions ?


Avant tout, il faut intéresser les enfants à l’écriture : leur raconter l’histoire de l’écriture, leur parler des différentes écritures dans le monde, leur montrer différents alphabets, et surtout leur poser la question fondamentale : à quoi sert l’écriture ? Pourquoi et comment utiliser au mieux un outil si on ne sait pas à quoi il sert ? Les enfants ont un besoin essentiel de donner un sens à ce qu’ils font. Cela fait, la graphothérapie est une solution. Et pas seulement pour les enfants dont l’écriture est dysgraphique (illisible, lente, fatigante). Elle permet de travailler le geste graphique en douceur, dans un cadre sécurisant et, entre autres, de récupérer ou de mettre en place les bons gestes et les bons réflexes de posture et de tenue du stylo pour écrire. Au-delà de la rééducation de l’écriture, la graphothérapie apporte aussi souvent des améliorations que n’attendaient pas les parents, comme une affirmation de soi qui ne demandait qu’à éclore, une amélioration de la concentration et de l’attention, ou une capacité à s’organiser. Les effets d’une prise en charge en graphothérapie sont multiples, loin de se limiter à l’écriture. C’est un accompagnement qui aide l’enfant à trouver le chemin vers le sommet de cette haute montagne pour conforter sa confiance en lui et porter enfin un regard positif sur son écriture… et sur lui-même.



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